mercredi, novembre 30, 2005

Projet de loi antiterroriste... et bibliothèques

Je lisais hier une dépêche de l’AP parue dans les nouvelles de Yahoo à propos du projet de loi n°2615 relatif à la lutte contre le terrorisme et adopté mardi en première lecture à l’assemblée et dont voici les mesures phares. Un point très sensible du dossier est que ce projet de loi entend étendre largement les pouvoirs des services de renseignement, faisant réagir les défenseurs des droits de l’homme et des libertés. Mais comme le demandaient plusieurs députés, le ministre de l'Intérieur s'est engagé à ce qu'un texte soit présenté "avant le 15 février" sur la création d'une Commission nationale de contrôles des services de renseignement composée uniquement de parlementaires.

Le Sénat examinera à son tour ce texte à la mi-janvier alors que le nombre de navettes entre les deux assemblées devrait être réduit, le gouvernement ayant demandé l'urgence sur l'examen de ce projet de loi élaboré l'été dernier après les attentats de Londres.

De notre côté, d’un point de vue professionnel s’entend, nous avions également entendu parler de ce projet et de ses velléités grandissantes de contrôle. En effet, ce projet abordait entre autres l'obligation de conservation (et de communication le cas échéant) de certaines données techniques de connexions par les opérateurs de télécommunications. Il est précisé dans l'exposé des motifs (et dans le code des télécommunications) que "ces données ne concernent pas les contenus qui sont protégés par le secret des correspondances".

Mais ce texte ne concerne pas seulement les opérateurs de télécommunications, car il est précisé que :"Les connexions et navigations sont également possibles à partir de lieux publics ou commerciaux, via des bornes d'accès sans fil (WIFI), ou par l'intermédiaire d'un réseau distribué, communément appelé « cybercafé »." La profession en concluait donc qu’il s'étendait également à l'accès public à internet dans les bibliothèques.
Article 4
Le I de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques est complété par l'alinéa suivant :
« Les personnes qui, au titre d'une activité professionnelle principale ou accessoire, offrent au public une connexion permettant une communication en ligne par l'intermédiaire d'un accès au réseau, y compris à titre gratuit, sont soumises au respect des dispositions applicables aux opérateurs de communications électroniques en vertu du présent article. »
Article 15
I.- Les autorisations mentionnées au III de l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité et délivrées antérieurement à la date de publication de la présente loi sont réputées délivrées pour une durée de cinq ans à compter de cette date.


Or, on sait dans quelle position délicate le Patriot Act adopté aux USA en 2001 a placé nos collègues américains. D’où forte inquiétude de la profession.



Néanmoins, lors des débats parlementaires (Compte rendu analytique des séances du 24 novembre 2005), le ministre a exclu de l'obligation de communication des données les bibliothèques, les universités, les hôtels de ville…

le Ministre délégué - Je suis très clair : ce sont d'abord les cybercafés qui sont concernés, c'est-à-dire les personnes qui au titre d'une activité professionnelle principale offrent au public une connexion au réseau internet. Ce sont eux que nous voulons soumettre au même régime que les opérateurs classiques : obligation de conservation de données techniques de connexion - numéros de terminaux, dates, horaires et durée de communication -, indépendamment d'ailleurs des données de contenu, comme par exemple le contenu d'un mail. Je rappelle que Richard Reid, le terroriste dont la chaussure était remplie d'explosif, utilisait des cybercafés ainsi qu'une bande de connexion de l'aéroport de Roissy. Les mairies, les universités,les bibliothèques ne sont pas concernées en principe car leur activité ne consiste pas principalement à proposer des connexions à l'internet.
Néanmoins, si l'on signalait, par exemple, que telle ou telle bibliothèque se transformait en une sorte de cybercafé, celle-ci pourrait entrer dans le champ des personnes soumises à l'obligation de conservation des données au titre de leur activité accessoire. Il convient de se ménager une telle possibilité. Autre exemple, Mohammed Atta, le chef des commandos kamikazes du 11 septembre 2001, communiquait avec une partie de son réseau à partir des postes internet que l'université de Hambourg mettait à la disposition de ses étudiants. La définition proposée par le projet du Gouvernement n'appelle donc pas de précision par décret.

M. Noël Mamère - J'entends bien votre réponse concernant les universités, les bibliothèques, les mairies, mais pourquoi ne pas inscrire précisément dans la loi la liste des personnes devant conserver les données techniques relatives à l'utilisation d'internet ?

M. Michel Vaxès - Une ambiguïté doit en effet être levée. M. le ministre a exclu de l'obligation de communication des données les bibliothèques, les universités, les hôtels de ville... Le cas échéant, il ne faudra donc pas leur reprocher a posteriori de ne pas avoir accumulé l'ensemble des éléments d'information nécessaires à une enquête. L'imprécision du texte est dommageable, même si l'intervention de M. le ministre pourrait peut-être constituer une référence pour le juge.

M. le Ministre délégué - Ce sera le cas, et c'est précisément pourquoi j'ai tenu à apporter ces précisions.


[citations et débats retransmis par M. Pierre Carbonne par le biais des listes de diffusions professionnelles.]

C’est un point important je trouve qu’il convenait de signaler, même si dans un premier temps la menace semble éloignée, mais pas annulée : des bibliothèques devenant des cybercafés, j’en connais de nombreuses dont certaines le sont de manière officielle, étant estampillées EPM « Espace Public Multimédia », dans les communes –nombreuses- qui ne sont pas assez importantes pour posséder un cybercafé. A signaler, donc, et à surveiller. Maintenant que l’idée est formulée, il ne m’étonnerait pas de la revoir passer d’ici quelques mois, sous un prétexte ou un autre…